Chronique JAZZhalo.be – Claude Loxhay
par on novembre 29, 2017 dans Press Suite For Modigliani

 

Le public belge avait pu découvrir le clarinettiste Matteo Pastorino en concert, que ce soit lors d’un Jazz Brugge en compagnie d’Hendrik Lazure et de la chanteuse Francesca Palmidessi, à Liège au Pelzer Jazz Club ou au Centre Culturel d’Ans, mais également au travers de son premier album personnel V (label Absilone). Le musicien sarde, qui a d’abord suivi des workshops avec Paolo Fresu, avant d’étudier au Conservatoire de Paris et d’avoir des cours avec Chris Potter, était immédiatement apparu comme une révélation, un des meilleurs clarinettistes du moment.

Pour son deuxième album, il retrouve, d’une part, son pianiste attitré, Matthieu Roffé, qu’on a pu entendre, de son côté, avec son Chamber Metropolitan Trio, au sein de l’onztet Endectet ou en duo intimiste avec la flûtiste japonaise Yuriko Kimura et, d’autre part, son batteur, Jean-Baptiste Pinet, membre aussi du trio de notre compatriote Joachim Caffonnette.

A la contrebasse, à la place de Bertrand Beruard, Damien Varaillon, diplômé des Conservatoires de Marseille et Paris, membre du Chamber Metropolitan Trio de Roffé comme du Red Star Orchestra et qui a côtoyé le trompettiste Nicolas Folmer. Bref, une équipe parfaitement soudée à laquelle vient se joindre, pour élargir la palette sonore de la formation sur quatre titres, Gilad Hekselman, guitariste né en Israel mais diplômé de la New School de New York. Il a côtoyé Chris Potter comme Avishai Cohen et enregistré Splitlife en trio ainsi que Hearts wide open avec Mark Turner.

Pour son deuxième album, le clarinettiste sarde propose un projet particulièrement original et parfaitement cohérent: Suite for Modigliani, une « musique inspirée des épisodes clefs de sa vie, de son processus créatif et de sa recherche artistique ». Pastorino livre ainsi ses « impressions et émotions envers l’art et la vie de Modigliani ».

Soit, au total, huit compositions originales du clarinettiste directement inspirées par des tableaux et des moments de vie du peintre et une composition de Matthieu Roffé, Le pliage de Miura, composition à l’architecture complexe comme les pliages du graphiste japonais Miura.

Comme l’explique le très beau livret de l’album, qui tranche avec un certain minimalisme de certaines productions actuelles, sept tableaux vont ainsi se succéder: Anima, dédié aux portraits, à cette volonté d’aller « à la recherche de l’âme »; Mama, hommage à la mère patrie, l’Italie, ainsi qu’aux arts premiers africains qui ont inspiré Modigliani; Muse, en souvenir à son inspiratrice Jeanne Hébuterne, la mère de ses enfants qui s’est suicidée le lendemain de la mort du peintre; Fall Mood, inspiré par l’effervescence du Paris des artistes; Rue Delta, en mémoire à Paul Alexandre, principal collectionneur de Modigliani; enfin, Partenze #1 et #2, célébrant le départ d’Italie pour s’établir en France comme l’a fait le musicien. Une musique remplie d’émotions.

Comme déjà sur V, Matteo Pastorino montre ici toute son aisance technique, sa maîtrise rythmique et sa science des tonalités. Une palette sonore en arc en ciel: sonorités mordorées de la clarinette basse sur Anima et les deux Partenze, avec une intro qui rappelle toute la majesté de Dolphy; sonorités irisées de la clarinette sur les autres plages. Volubile la clarinette voltige: virevoltante sur Mama, plus sereine sur Fall Mood, elle emprunte une sorte de gravité sur l’intro solo de Muse: comme disait le peintre, « le bonheur est un ange au visage grave ».

Pastorino est aussi un excellent compositeur: il a l’art de tisser des mélodies flamboyantes, sur une trame rythmique complexe, avec de soudains emballements du tempo (Anima, Partenze #2).

Le clarinettiste sait aussi s’appuyer sur ses complices: envolées fougueuses du piano de Roffé, avec une science de l’ostinato (Fall Mood), sonoités chatoyantes de la guitare qui apporte de nouvelles couleurs à la formation (Anima, Mama, Partenze), apport mélodique de la contrebasse, soutien tout en nuances de la batterie qui au détour d’un thème peut s’enflammer (Partenze #2).

Au total, un projet parfaitement abouti tant sur le plan musical que sur le plan graphique (très belle pochette, livret avec photos des tabelaux évoqués et textes très riches): une des meilleurs productions du moment.

Un espoir: découvrir rapidement le projet en Belgique. Au sinon, concert de lancement de l’album, le 7 décembre au Sunside à Paris.

C. Loxhay

http://www.jazzhalo.be/reviews/cdlp-reviews/m/matteo-pastorino-suite-for-modigliani/

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